15 nov. 2013

Bâtir une relation d’attachement, c’est important!

La plupart des psys s’entendent là-dessus: il est primordial pour le bien-être de l’enfant que celui-ci noue un lien d’attachement sécurisant avec l’adulte qui prend soin de lui. Le point sur cette notion au coeur de la relation parent-enfant, avec la Dre Olivia Hernandez-Sanchez.


Comment en êtes-vous venue à vous intéresser au lien d’attachement? Olivia Hernandez-Sanchez
J’en ai d’abord entendu parler au Mexique, d’où je viens. Quand j’ai commencé à étudier cette notion, j’y ai vu un grand espoir, un moyen de diminuer la maltraitance intergénérationnelle. J’ai réalisé que, si on soutenait les parents, si on les aidait à améliorer leur sensibilité aux besoins des enfants et à certains comportements, on pourrait prévenir beaucoup de problèmes psychosociaux.
Comment la psychologie définit-elle le lien d’attachement?
C’est le psychiatre et psychanalyste anglais John Bowlby qui, à la fin des années 1950, a été le premier à en parler. Il a décrit le lien d’attachement comme un lien affectif durable et sécurisant, qui relie le nourrisson à son principal fournisseur de soins – le plus souvent sa mère, mais cela peut aussi être la mère adoptive, le père, le grand-père, en un mot c’est la personne considérée comme la figure d’attachement principale.
Ce lien existe-t-il dès la naissance?
Il faut distinguer le lien d’attachement qui unit la mère ou le père à l’enfant, de celui qui unit ce dernier à son parent. Ce qui est crucial à consolider pour le développement émotionnel de l’enfant, c’est vraiment le lien qui l’attache à sa mère ou à la personne qui s’occupe de lui. Ce lien peut débuter avant même la naissance, in utero, mais il prendra sa forme et se consolidera durant les trois premières années de vie de l’enfant. Au cours de cette période, le cerveau se développe rapidement. Quand le bébé éprouve un besoin, il pleure pour attirer l’attention de la personne qui lui prodigue des soins, et celle-ci répond à cet appel. Le lien d’attachement s’acquiert ainsi, peu à peu, dans le quotidien, principalement dans la certitude ou l’incertitude qu’a l’enfant de pouvoir se faire aider lorsqu’il en a besoin.
En quoi ce lien intervient-il dans le développement émotionnel?
La façon dont l’enfant nouera ce lien aura une influence sur toute sa vie, autant sur son développement cognitif que sur sa capacité d’entrer en relation avec les autres ou de réagir au stress. Si le nourrisson apprend, jour après jour, qu’il y a toujours quelqu’un pour répondre à ses besoins – d’être nourri, rassuré, changé, réchauffé, etc.–, il établira une confiance de base qui lui servira de modèle interrelationnel. Lorsqu’il aura besoin de quelque chose, il ne sera pas inquiet, sachant qu’en général la réponse va venir. À l’opposé, le bébé qui attend systématiquement (et parfois en vain) pour obtenir une réponse – par exemple, s’il est mouillé, s’il se sent mal, s’il a faim – en arrivera, dans sa vie, à ne pas faire confiance aux autres personnes. Ou alors, quand il aura confiance, ce sera en même temps avec un sentiment de peur et de vulnérabilié.
Et comment doit-on se comporter pour rassurer l’enfant?
Le bien-être du bébé passe par tous ses sens. Il doit percevoir par l’ouïe, la vue, le toucher… que vous l’aimez. Un parent qui est toujours fâché, qui répond à ses pleurs par la colère, lui fera perdre confiance. C’est pour cette raison qu’il est tellement important de soutenir les parents, de les aider dans la tâche exigeante d’élever les enfants.
Comment le manque de confiance peut-il nuire à son épanouissement?
On sait que l’enfant vient au monde avec un cerveau inachevé, qui finira de se développer rapidement durant les trois premières années de vie. L’anxiété, la peur peuvent avoir une incidence sur la structure même du cerveau. Chaque fois que l’enfant vit des expériences, certaines connexions se forment entre les neurones. S’il éprouve un grand stress, son cerveau sécrétera de fortes doses de cortisol. Et un taux de cortisol élevé, sur de longues périodes, est toxique pour le cerveau et peut même détruire des neurones. Cette insécurité risque de conduire un enfant à être, toute sa vie, hypersensible au stress, à avoir des déficiences cognitives et des problèmes dans ses relations avec autrui.
Il arrive à tous les parents de ne pas répondre aux besoins immédiats de leur enfant, par exemple, en le laissant pleurer dans son lit, croyant bien faire. Est-ce que cela peut avoir des conséquences graves? Rassurez-vous. Il n’y a pas de parents parfaits! Et nous apprenons tous par essais et erreurs. Si vous répondez aux besoins de votre enfant la plupart du temps, il s’en sortira très bien! Cependant, il faut faire plus attention si celui-ci est malade, blessé ou effrayé. Et dans tous les cas, la continuité et la stabilité sont essentielles. Les enfants ont besoin de points de repère et de prévisibilité. S’ils ont un horaire routinier et savent ce qui va se passer dans leur journée, ils seront plus tranquilles.
Ne risque-t-on pas de trop gâter les enfants en répondant immédiatement à leurs besoins?
Quand un nourrisson pleure, c’est qu’il a besoin de quelque chose ou de quelqu’un. Ce n’est pas négatif, et vous ne risquez rien à le câliner. À mesure qu’il grandira, il apprendra à attendre, et petit à petit vous pourrez l’aider à développer son autonomie. Mais pas à 6 mois ni à 1 an. Le bébé dépend entièrement des adultes qui s’occupent de lui. Lorsqu’il aura conscience d’être lui-même une personne, vous pourrez lui enseigner à faire la différence entre un besoin et un désir. Vers l’âge de 2 ans, il aura probablement des accès de mauvaise humeur sans vrai besoin. Dans ces cas-là, le parent pourrait le laisser pleurer pour qu’il apprenne les limites de ses demandes, tout en le félicitant dès qu’il se sera calmé.
Quelles pourraient être les répercussions d’un lien insécurisant sur l’enfant?
Il existe des parents qui non seulement ne prennent pas bien soin de leurs enfants, mais les maltraitent. Dans la tête de ces derniers, le chaos s’installe. Très souvent, ils se retrouveront dans les centres jeunesse, deviendront toxicomanes, souffriront de dépression et auront des pensées suicidaires. Quand on constate les dégâts, on voit à quel point il aurait été important d’intervenir dès la petite enfance. Il y a aussi des enfants qui connaissent un lien d’attachement plutôt moyennement sécurisant. Ceux-là pourront devenir des adultes fonctionnels, mais avec une faible estime de soi, des prédispositions à la dépression ou des difficultés relationnelles. Et dans le cas d’un enfant qui a souffert d’un lien d’attachement insécurisant, les séquelles sont-elles irréparables? Tout dépendra du degré des dommages, de l’âge de l’enfant et du type d’intervention. Heureusement, le cerveau a une certaine plasticité. Il y a donc moyen de faire des «réparations», surtout si l’enfant a moins de 5 ans. Chaque geste positif est susceptible d’apporter une aide.
Quel message donneriez-vous aux parents?
Soyez le mieux entourés et le plus soutenus possibles! Soyez disponibles pour vos enfants. Aimez-les, soyez tendres envers eux, ayez des comportements qui les feront se sentir en sécurité et répondez à leurs besoins. La discipline devra prendre place à mesure qu’ils grandiront. Mais leur conférer un sentiment de sécurité restera toujours primordial.

Enfants Québec, octobre 2011

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La dépression fait vieillir plus vite

Chaque année, on estime à 3 millions, le nombre de Français touchés par la dépression. Une maladie qui touche davantage de femmes et qui serait un facteur de vieillissement prématuré



Une étude* réalisée par les chercheurs de l'université d'Amsterdam sur plus de 1 000 patients montre un lien entre la dépression et le vieillissement prématuré des cellules.
Ce vieillissement cellulaire étant caractérisé par le raccourcissement des télomères qui sont les extrémités des chromosomes. Ces télomères raccourcissent avec l'âge, mais aussi sous l'effet du stress, en cas d'inflammation et de dépression.

Un risque accru de maladies

Ce vieillissement cellulaire accroît le risque de développer une maladie cardiaque, un diabète, de l'obésité...
Une autre étude** réalisée, cette fois, par une équipe japonaise de l'université de Fujita montre, elle, que le traitement de la dépression par antidépresseurs redonne au cerveau une plus grande plasticité, et donc une jeunesse cérébrale.
* Parue dans Molecular Psychiatry, 12 nov. 2013.
** Parue dans Molecular Brain, 5 nov 2013.

Véronique Bertrand
 

Comment prend-t-on une décision ?

Par Elvira Masson

Anodin en apparence, ce mécanisme met en jeu des facteurs complexes. Où il est question de neurosciences, de psychanalyse et de philosophie. 


Réfléchis avec lenteur, mais exécute rapidement tes décisions." Tel était le conseil donné par le philosophe Isocrate, en 436 av. J-C. Un sage précepte qui vaut toujours aujourd'hui, si l'on en croit les dirigeants d'entreprises que l'on a interrogés.  
Jeunes patrons ou managers aguerris, ils parlent étonnamment, sur ce point-là en tout cas, d'une seule voix. "J'ai établi une grille qui me sert à chaque fois que je dois trancher dans une situation délicate ou mettre en place de nouveaux process", explique Jonathan Atlan, patron d'un réseau d'agences immobilières. C'est très simple, voire basique, mais pour moi c'est imparable : 1. Pourquoi est-il indispensable que je prenne une décision? 
2. Quelle est la réponse la plus efficace - pas forcément la plus juste, d'ailleurs - pour mon entreprise? 
3. Comment puis-je la justifier de manière sincère et convaincante auprès de mes équipes? 
Si la première réponse me paraît claire, il n'y a aucune raison que les deux suivantes ne le soient pas. Il ne me reste donc plus qu'à agir. Et vite.", poursuit-il, de manière implacablement rationnelle. Et qu'ils soient coaches en entreprise ou psys, les pros de l'aide abondent dans le même sens: savoir prendre des décisions est la garantie d'une vie réussie, dans la sphère privée comme professionnelle.
Pourtant, à en juger par le développement des techniques d'aide aux managers, l'inflation des formations pour cadres dirigeants et le boom de la littérature "prodécisionnelle" (outre-Atlantique, on en est particulièrement friand. Ainsi, How we decide, de Jonah Lehrer, vulgarisateur des neurosciences, considéré depuis comme un plagiaire confirmé, mais c'est une autre histoire, est resté des semaines au top des meilleures ventes dans le classement du New York Times), certains ont plus de mal que d'autres à prendre un parti. Pourquoi? La question revient à tâcher d'élucider le mystère d'un mécanisme qui mêle bien des paramètres sur lesquels les opinions divergent. Qui décide: notre raison, nos émotions, notre inconscient ou un peu des trois? 
Nos émotions influencent nos décisions

Les meilleures décisions? Elles sont prises de manière inconscientes
Choisir demande de l'intelligence, décider surtout de la volonté

Les émotions sont déterminantes. Des recherches, conduites par des neuroscientifiques des universités de Yale et de Columbia, ont mis en lumière leur importance dans le processus décisionnel. Leurs conclusions sont en substance les trois suivantes: nos émotions influencent nos décisions; ces dernières sont liées à la reconnaissance que l'on va en tirer; enfin, une faible capacité à décider peut résulter d'un dysfonctionnement de l'activité cérébrale ou d'états émotionnels négatifs, comme l'extrême anxiété.  
"Pour prendre une décision, il arrive que l'état affectif soit un argument qui a valeur de jugement, acquiesce Xavier Dumesnil, coach en stratégie managériale. Quand on est d'humeur positive, on a tendance à surestimer l'importance des conséquences positives d'un choix, donc à en minimiser les effets négatifs. L'inverse est vrai également. Ainsi, l'état émotionnel change la manière de traiter un problème: quand on va bien, on analyse la situation d'un point de vue global, sans regarder les détails et en tenant compte de ce que l'on sait (la stratégie de traitement heuristique, dans le jargon cognitif) ; quand on a l'esprit plus sombre, on procède à une approche des faits point par point (le traitement systématique), avec plus d'attention aux détails et moins à ce que l'on connaît déjà." 
Pour ajouter à la difficulté, hommes et femmes ne seraient peut-être pas à égalité. Selon des travaux récents effectués par une équipe de psys de l'université de Warwick, en Grande-Bretagne, le genre jouerait un rôle important. Dans la mesure où les deux sexes ne perçoivent pas le monde à l'identique, ils ne prennent pas non plus leurs décisions pareillement. L'homme segmente son univers en catégories bien distinctes, noires ou blanches, tandis que la femme serait plus nuancée, voire fluctuante. Ainsi, traditionnellement, l'un a été loué pour sa réactivité et sa promptitude à agir ; l'autre pour son empathie et son attention à son entourage. Soit rien de bien neuf. 

A l'origine, il y a l'inconscient, c'est lui qui déciderait de ce processus. Professeur en sciences cognitives à l'université de Rochester, aux Etats-Unis, Alex Pouget a démontré dans ses travaux que, contrairement à ce que l'on imagine, nous prenons les meilleures décisions de manière inconsciente. "On ne choisit pas en conscience de s'arrêter à un feu rouge ou d'éviter un obstacle sur son chemin. Une fois analysées les décisions prises inconsciemment, on constate qu'elles sont presque toujours justes, en fonction des paramètres qui président à leur exécution." 
Si des mécanismes inconscients et une large palette d'émotions occupent une place dans le processus, c'est également le cas d'événements beaucoup plus triviaux, selon une étude étonnante, pilotée par Mirjiam Tuk, professeur à l'université de Twente, aux Pays-Bas. Elle a partagé les participants en deux groupes. A l'un, elle a demandé de boire cinq verres d'eau. A l'autre, cinq gorgées. Après un certain temps, il s'est avéré que le premier groupe, soumis à une envie pressante, éprouvait un sentiment d'urgence, voire de stress, et était plus à même de prendre des décisions efficaces que le second. S'ils se vérifient, ces résultats viendraient contredire une théorie psy très commentée, développée par Roy Baumeister, professeur à la Florida State University. Elle révèle un aspect méconnu du cerveau humain qui explique comment un individu - qu'il soit homme politique, chirurgien, patron ou simple commun des mortels - peut prendre des décisions parfois tout à fait incohérentes, ou être simplement incapable de décider quoi que ce soit. Parce qu'il est impossible d'accumuler les décisions, de les prendre dans l'urgence et de façon répétée sans en payer un tribut d'autant plus lourd qu'on n'en a pas conscience, au contraire de la fatigue physique ordinaire. Mis à rude épreuve, le cerveau ne sait plus comment répondre à la demande.  

Ce qui déclenche l'un ou l'autre de ces deux mécanismes: soit prendre des risques et agir de façon impulsive, soit ne plus prendre de décisions et essayer de gagner du temps. Or, le plus souvent, ne pas décider finit par créer des problèmes encore plus grands. Cette fatigue générée par la prise de décision a été baptisée "ego depletion", en anglais (épuisement de l'ego). Sommes-nous libres de nos choix ou menés par notre inconscient? Telle est la dichotomie qui sépare les deux disciplines de la philosophie et de la psychanalyse.  
Pour le philosophe Robert Misrahi, "nous sommes totalement libres de choisir notre vie et d'accéder par là au bonheur, mais nous créons notre propre malheur en prenant de mauvaises décisions, dictées par des désirs qui nous gouvernent et nous malmènent, qui ne sont en aucun cas l'inconscient." A l'inverse, la psychanalyste Dominique Miller estime, elle, que "les mauvaises décisions que nous prenons sont généralement liées à un événement essentiel de notre histoire qui, souvent, se rencontre dans notre enfance. Cet événement obscur est parfois raconté, parfois tu. Il peut être grave (un décès, une séparation...) ou anodin, mais il est toujours marquant. Il pèse sur nos décisions dans les moments cruciaux de notre vie personnelle et professionnelle." 
Et si, pour finir, on revenait à la case départ avec cette définition du philosophe Charles Pépin qui opère une distinction intéressante: "Une décision fondée en raison, parfaitement justifiée dans une batterie de tableaux Excel, n'est pas une décision: c'est simplement un choix. J'ai "choisi" et j'ai "décidé" sont donc faussement synonymes. Choisir demande de l'intelligence, décider surtout de la volonté. De l'intelligence aussi, bien sûr, mais elle ne suffit pas sans le secours de notre volonté. C'est la thèse singulière de Descartes, si peu cartésien pour le coup: être humain, c'est compenser un entendement limité par une volonté infinie. Ce que nous avons en nous d'infini, ce que nous pouvons déployer sans limites, c'est la volonté, et non l'intelligence." Décider c'est ainsi vouloir plus qu'on ne sait. Si nous attendions d'être sûrs pour agir, nous ne le ferions jamais. Comme l'écrit un autre philosophe, Alain, "le secret de la décision, c'est de s'y mettre".