La plupart des psys s’entendent là-dessus: il est primordial pour le bien-être de l’enfant que celui-ci noue un lien d’attachement sécurisant avec l’adulte qui prend soin de lui. Le point sur cette notion au coeur de la relation parent-enfant, avec la Dre Olivia Hernandez-Sanchez.
Comment en êtes-vous venue à vous intéresser au lien d’attachement? Olivia Hernandez-Sanchez
Comment en êtes-vous venue à vous intéresser au lien d’attachement? Olivia Hernandez-Sanchez
J’en ai d’abord entendu parler au Mexique, d’où je viens. Quand j’ai commencé à étudier cette notion, j’y ai vu un grand espoir, un moyen de diminuer la maltraitance intergénérationnelle. J’ai réalisé que, si on soutenait les parents, si on les aidait à améliorer leur sensibilité aux besoins des enfants et à certains comportements, on pourrait prévenir beaucoup de problèmes psychosociaux.
Comment la psychologie définit-elle le lien d’attachement?
C’est le psychiatre et psychanalyste anglais John Bowlby qui, à la fin des années 1950, a été le premier à en parler. Il a décrit le lien d’attachement comme un lien affectif durable et sécurisant, qui relie le nourrisson à son principal fournisseur de soins – le plus souvent sa mère, mais cela peut aussi être la mère adoptive, le père, le grand-père, en un mot c’est la personne considérée comme la figure d’attachement principale.
Ce lien existe-t-il dès la naissance?
Il faut distinguer le lien d’attachement qui unit la mère ou le père à l’enfant, de celui qui unit ce dernier à son parent. Ce qui est crucial à consolider pour le développement émotionnel de l’enfant, c’est vraiment le lien qui l’attache à sa mère ou à la personne qui s’occupe de lui. Ce lien peut débuter avant même la naissance, in utero, mais il prendra sa forme et se consolidera durant les trois premières années de vie de l’enfant. Au cours de cette période, le cerveau se développe rapidement. Quand le bébé éprouve un besoin, il pleure pour attirer l’attention de la personne qui lui prodigue des soins, et celle-ci répond à cet appel. Le lien d’attachement s’acquiert ainsi, peu à peu, dans le quotidien, principalement dans la certitude ou l’incertitude qu’a l’enfant de pouvoir se faire aider lorsqu’il en a besoin.
En quoi ce lien intervient-il dans le développement émotionnel?
La façon dont l’enfant nouera ce lien aura une influence sur toute sa vie, autant sur son développement cognitif que sur sa capacité d’entrer en relation avec les autres ou de réagir au stress. Si le nourrisson apprend, jour après jour, qu’il y a toujours quelqu’un pour répondre à ses besoins – d’être nourri, rassuré, changé, réchauffé, etc.–, il établira une confiance de base qui lui servira de modèle interrelationnel. Lorsqu’il aura besoin de quelque chose, il ne sera pas inquiet, sachant qu’en général la réponse va venir. À l’opposé, le bébé qui attend systématiquement (et parfois en vain) pour obtenir une réponse – par exemple, s’il est mouillé, s’il se sent mal, s’il a faim – en arrivera, dans sa vie, à ne pas faire confiance aux autres personnes. Ou alors, quand il aura confiance, ce sera en même temps avec un sentiment de peur et de vulnérabilié.
Et comment doit-on se comporter pour rassurer l’enfant?
Le bien-être du bébé passe par tous ses sens. Il doit percevoir par l’ouïe, la vue, le toucher… que vous l’aimez. Un parent qui est toujours fâché, qui répond à ses pleurs par la colère, lui fera perdre confiance. C’est pour cette raison qu’il est tellement important de soutenir les parents, de les aider dans la tâche exigeante d’élever les enfants.
Comment le manque de confiance peut-il nuire à son épanouissement?
On sait que l’enfant vient au monde avec un cerveau inachevé, qui finira de se développer rapidement durant les trois premières années de vie. L’anxiété, la peur peuvent avoir une incidence sur la structure même du cerveau. Chaque fois que l’enfant vit des expériences, certaines connexions se forment entre les neurones. S’il éprouve un grand stress, son cerveau sécrétera de fortes doses de cortisol. Et un taux de cortisol élevé, sur de longues périodes, est toxique pour le cerveau et peut même détruire des neurones. Cette insécurité risque de conduire un enfant à être, toute sa vie, hypersensible au stress, à avoir des déficiences cognitives et des problèmes dans ses relations avec autrui.
Il arrive à tous les parents de ne pas répondre aux besoins immédiats de leur enfant, par exemple, en le laissant pleurer dans son lit, croyant bien faire. Est-ce que cela peut avoir des conséquences graves? Rassurez-vous. Il n’y a pas de parents parfaits! Et nous apprenons tous par essais et erreurs. Si vous répondez aux besoins de votre enfant la plupart du temps, il s’en sortira très bien! Cependant, il faut faire plus attention si celui-ci est malade, blessé ou effrayé. Et dans tous les cas, la continuité et la stabilité sont essentielles. Les enfants ont besoin de points de repère et de prévisibilité. S’ils ont un horaire routinier et savent ce qui va se passer dans leur journée, ils seront plus tranquilles.
Ne risque-t-on pas de trop gâter les enfants en répondant immédiatement à leurs besoins?
Quand un nourrisson pleure, c’est qu’il a besoin de quelque chose ou de quelqu’un. Ce n’est pas négatif, et vous ne risquez rien à le câliner. À mesure qu’il grandira, il apprendra à attendre, et petit à petit vous pourrez l’aider à développer son autonomie. Mais pas à 6 mois ni à 1 an. Le bébé dépend entièrement des adultes qui s’occupent de lui. Lorsqu’il aura conscience d’être lui-même une personne, vous pourrez lui enseigner à faire la différence entre un besoin et un désir. Vers l’âge de 2 ans, il aura probablement des accès de mauvaise humeur sans vrai besoin. Dans ces cas-là, le parent pourrait le laisser pleurer pour qu’il apprenne les limites de ses demandes, tout en le félicitant dès qu’il se sera calmé.
Quelles pourraient être les répercussions d’un lien insécurisant sur l’enfant?
Il existe des parents qui non seulement ne prennent pas bien soin de leurs enfants, mais les maltraitent. Dans la tête de ces derniers, le chaos s’installe. Très souvent, ils se retrouveront dans les centres jeunesse, deviendront toxicomanes, souffriront de dépression et auront des pensées suicidaires. Quand on constate les dégâts, on voit à quel point il aurait été important d’intervenir dès la petite enfance. Il y a aussi des enfants qui connaissent un lien d’attachement plutôt moyennement sécurisant. Ceux-là pourront devenir des adultes fonctionnels, mais avec une faible estime de soi, des prédispositions à la dépression ou des difficultés relationnelles. Et dans le cas d’un enfant qui a souffert d’un lien d’attachement insécurisant, les séquelles sont-elles irréparables? Tout dépendra du degré des dommages, de l’âge de l’enfant et du type d’intervention. Heureusement, le cerveau a une certaine plasticité. Il y a donc moyen de faire des «réparations», surtout si l’enfant a moins de 5 ans. Chaque geste positif est susceptible d’apporter une aide.
Quel message donneriez-vous aux parents?
Soyez le mieux entourés et le plus soutenus possibles! Soyez disponibles pour vos enfants. Aimez-les, soyez tendres envers eux, ayez des comportements qui les feront se sentir en sécurité et répondez à leurs besoins. La discipline devra prendre place à mesure qu’ils grandiront. Mais leur conférer un sentiment de sécurité restera toujours primordial.
Enfants Québec, octobre 2011