11 mai 2012

Défense et Critique de la psychanalyse - Boris Cyrulnik


Extrait du Débat Boris Cyrulnik- Michel Onfray (Ollioules 2011)


Après la controverse, largement médiatisée entre les psychanalystes et Michel Onfray pour sa critique de Freud dans la Contre-Histoire de la philosophie, un échange  constructif et éclairé peut enfin prendre place : Boris Cyrulnik, psychanalyste, éthologue, psychiatre et directeur d'enseignement à l'université Toulon - Var, ouvre ainsi un premier véritable débat sur la psychanalyse avec Michel Onfray.





Extraits


Boris Cyrulnik :

"Il arrivait que Charcot invitât Freud chez lui, lors de soirées. Ce dernier était intimidé par le niveau de vie bourgeois de Charcot. Et il avait remarqué que lorsqu'il mâchait une graine de cocaïne, il était beaucoup plus détendu...
Henri Ellenberger a fait un travail d'archives sur la vie de Freud. Il en ressort  que lorsqu'on parle de ses débuts laborieux, on participe à la légende..." Le héros d'une épopée doit avoir été persécuté". Par exemple, la question de la sexualité infantile était loin d'être un tabou dans la société viennoise de la fin du XIX° siècle."

Boris Cyrulnik, qui a visité l'appartement de Freud à Vienne, a pu lire les journaux de l'époque. On y voit que la psychanalyse  avait fait des adeptes, et qu'on y faisait de la réclame du style. «Devenez psychanalystes en trois semaines, ou en dix leçons».

Alors Freud, a-t-il "inventé" l'inconscient?
Il est bien difficile lorsqu'une idée est dans l'air, d'en attribuer la paternité à tel ou tel.
 

« Toutes les sciences, qu'elles soient "molles", ou "dures" procèdent par ajustements successifs. On met en avant ce qui marche, et l’on gomme ce qui ne fonctionne pas comme on le souhaiterait. Ce qui vaut dans la psychanalyse vaut également en médecine. » 

(Boris Cyrulnik cite alors  des anecdotes sur les théories en médecine, qui se succèdent et se contredisent).



"Il arrive aussi qu'une observation, en éthologie animale par exemple, entraîne une transposition qui deviendra un concept dans la théorie psychanalytique. C'est le cas du "stade du miroir", formalisé et développé par Lacan, mais déduit d'un comportement observé en éthologie animale par Konrad Lorenz (phénomène de l'empreinte).
De même, Lacan a emprunté sa distinction entre le "réel" et "l'imaginaire ».
"Il est à noter que Lacan a cité  très honnêtement ses sources."

 Puis, Boris Cyrulnik, aborde la période contemporaine, mêlant son itinéraire personnel aux mouvements qui jalonnent l'avancée des sciences humaines.



Après la guerre...

" Les schizophrènes étaient considérés comme des dégénérés".
Les travaux de Freud étaient mal connus. Le livre "La première année de l'enfant" écrit par René A. Spitz et préfacé par Anna Freud  comportait dans sa première édition, une bibliographie largement puisée dans des ouvrages d'éthologie. Cette bibliographie a disparu par la suite, à mesure de la progression de la psychanalyse.



L'éthologie, étude des comportements (animaux et humains) en lien avec la biologie (et la chimie) étaient alors considérées comme les seules sources de soins aux personnes souffrant de troubles psychiques. 
On découvre les écrits de Freud. Leur traduction et leur étude ont constitué, face aux théories fondées sur la biologie,"une formidable bouffée d'oxygène dans les années 1950-1960."


Ainsi, il était  possible d'améliorer le sort des "malades de l'esprit" autrement que par les drogues, l'enfermement ou les électrochocs dans le cas de troubles du comportement risquant de mettre en péril le malade et/ou la société !

Le problème, c'est que l'on se trouvait en présence de disciplines disparates (mais complémentaires) : l'éthologie, étude des comportements d'un côté, et la psychanalyse, théorie de l'inconscient -déconnectée du réel - de l'autre.


Boris Cyrulnik s'est trouvé à former des psychanalystes à l'éthologie. Assez vite une controverse est apparue.

Fallait-il  enseigner la psychanalyse à l'Université ? 

Deux tendances s'affrontent:



- la société des psy qui s'autogérerait: la condition pour être analyste  étant d'avoir vécu une analyse; la compétence pour être analyste étant reconnue par les " pairs". 



- l'enseignement universitaire:  l'argument de base étant d' homogénéiser les pratiques... mais, quid de l'analyse de l'analyste ? 

La psychanalyse peut-elle  se réduire à des connaissances théoriques " froides" c'est-à-dire sans le vécu du transfert, qui est la particularité de l'expérience analytique? L'analyse dite  didactique est-elle suffisante?

Après mai 68, la psychanalyse est enseignée à l'Université.

On assiste ensuite à la formation de "clans" fermés les uns aux autres, et repliés sur eux-mêmes. Ils ont une " théorie" hors de laquelle point de salut. 

Une théorie a pour but et pour intérêt de présenter une cohérence... Mais cela peut virer parfois à la perversion  ou à la paranoïa. Si l'on n'est pas reconnu par le clan, on est exclu. Les membres restent entre eux...  Dès lors, la théorie  paraît  de plus en plus cohérente; le clan se sent de plus en plus fort, mais c'est une illusion, car vient le moment où, faute de faire de la recherche, de remettre en question la théorie, celle-ci se trouve désadaptée à la réalité. Et là, elle peut s'effondrer sur une simple pichenette...



"Appartenir à un clan, c'est la pensée paresseuse"  

On récite un catéchisme, on fait du psittacisme. C'est la même chose en biologie: croire qu'une molécule, à elle seule, peut guérir le psychisme, c’est vain. On arrive ainsi à des absurdités; il y a celui qui croit qu'une molécule peut guérir une névrose obsessionnelle, et celui qui affirme que l'origine de cette névrose viendrait du fait que la mère a mis son enfant trop tôt sur le pot !

 En revanche, le mélange des techniques peut donner des résultats en termes de guérison ; on n'est pas dans le "tout par la parole", ni dans le " tout par la chimie".


Il prend l'exemple de Laborit, médecin de la Marine, à l'Hôpital Sainte-Anne, à Toulon et sa "découverte" du lithium.
On avait observé dans une tribu africaine, que certains maux psychiques étaient soignés par le fait de faire sucer une pierre blanche aux malades... Un savoir empirique, donc. Après analyse, on trouve du sel, du magnésium... Et on découvre des traces de lithium. Même si la découverte du lithium (et son adaptation en quantité compatible à la pharmacopée)  n'est pas attribuée à  Laborit, cette découverte - toute empirique qu'elle fût  -  a participé à la généralisation de son usage pour soigner les manifestations des troubles maniaco-dépressifs.



"Quand on me demande de choisir entre deux voies ? 
je choisis la troisième" 

(Woody Allen) 

(…) Boris Cyrulnik dit privilégier le croisement des disciplines. Il travaille avec des sociologues, des psychiatres, des anthropologues, des éthologues. «Et tout ce monde travaille bien ensemble». Ils pratiquent l'étude systémique. La personne est en interaction permanente avec son milieu, et si un élément bouge, tout bouge. L'exemple le plus simple est le système respiratoire, composé d'éléments hétérogènes, mais en interaction permanente. Si l'on ôte un de ces éléments, le système se bloque.



Comprendre et soigner, ce n'est pas la même chose. La psychanalyse peut sauver des gens dans la détresse, après un trauma entre autres. Il ajoute que l'idée de la "séance" sécurise. Mais, il récuse les "intégristes" de la psychanalyse. Karl Popper a reproché à la psychanalyse de ne pas être scientifique". Mais la psychanalyse, ça marche! Elle établit un rituel des séances. Comment expliquer ce qu'il se passe en dehors des séances, donc, en l'absence du Psy? Un travail est en marche... Il y a le temps des séances, et le temps hors séances  qui est également un temps de travail de l'inconscient du sujet, sur lui-même.
Le nombre de personnes qui témoignent du fait, que la psychanalyse les a sauvées suffit à montrer son efficacité !"


(….) 
« Non, les gens ne communiquent pas »...


Ou pas comme il le faudrait parfois. C'est justement parce que dans les familles, on est  trop proches, qu'on ne peut pas dire certaines choses. Parce que si on les disait, cela aurait des conséquences qu'on ne veut pas vivre ". Le psy est proche, mais on ne lui est pas " lié" sauf le temps de l'analyse. 

Et c'est ce qui permet de dire des choses, de les sortir de soi.
Le concept de "horde primitive" a été évacué, parce que la psychanalyse progresse. Les psychanalystes ne s'y réfèrent plus.
L'empathie et la morale ont existé avant l'Homme (chez les animaux par exemple).
Sur la découverte de l'inconscient, quand une idée est dans l'air, il est difficile d'en attribuer la découverte à quelqu'un.

Vous savez qu'il y a 1% de différence entre le capital génétique du chimpanzé et celui de l'homme, mais qu'il y a 10% de différence entre celui de la femme, et celui de l'homme !
Sur la question des sciences en relation avec la statistique: si l'on rapporte le nombre de relations sexuelles au nombre d'enfants qu'une femme met au monde.au cours de sa vie..... on serait fondé à déconnecter la procréation de l'acte sexuel !

 (…) 

A propos de la guérison…
Boris Cyrulnik prend l'exemple de Françoise Giroud, qui a fait des dépressions à répétition. Soignée par la chimie. Deux ans après en être sortie, elle a fait une cure analytique avec Lacan. Et elle écrit : " C'est Lacan qui m'a guérie"...
Que s'est-il passé ? Elle était sortie de la maladie physique de ses dépressions... Avec Lacan, elle a changé sa vision du monde, et c'est ce qu'elle appelle sa " vraie guérison."
A supposer que le terme de guérison soit abusif ( on n'a pas 100% de réussite), ces personnes ont pu changer leur  représentation  d'elles-mêmes, et vivre plus en harmonie avec cette représentation nouvelle.


Il s'agit d'un travail d'élaboration qui se fait lentement. C'est un travail sur soi-même, pendant les séances et en dehors des séances ...
Par ailleurs, un trauma peut entraîner des conséquences graves. Combien de personnes évoquent que depuis tel ou tel fait, " plus rien n'a été comme avant", ou encore "qu'elles ne voient plus la vie de la même façon ?

"La Psychanalyse permet de changer d'opinion sur le monde, sur la vie". Et puis, une théorie peut ne pas être explicative de tout ce qui marche !"
A propos de science " qui s'impose"; on a longtemps cru que le patrimoine génétique n'était apporté que par l'homme, et que la femme n'était que "porteuse"...Et pourtant, ça marche, puisque nous sommes maintenant presque 7 milliards d'humains sur terre !
(…)

« Je pense qu'il y a là une confusion 
entre la parole "affective" et la parole " informative" »

En psychanalyse, "on se donne rendez-vous pour parler de soi comme on ne peut le faire nulle part ailleurs. C'est cette proximité qui donne un poids aux mots... Un poids qu'ils n'ont pas dans la vie quotidienne"
Et puis, tout le monde n'a pas accès à la parole abstraite de la philosophie, ou des mathématiques. De même, d'autres ne sont pas accessibles à la psychanalyse". C'est dans les familles qu'on se dit le moins de choses. La psychanalyse a  apporté à la civilisation occidentale  une prothèse à des défaillances familiales et culturelles."








Pour obtenir l'intégralité du débat : CD de la conférence

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